Église Saint-Nicolas de Gand
Avec l’invention de la photographie (mi-technique, mi-artistique) en 1839, les artistes peintres, dépassés techniquement quant à la représentation mimétique de la réalité visuelle, ont investi leurs recherches de « l’art pour l’art », explorant les qualités formelles, chromatiques… jusqu’à aboutir à l’abstraction. Les photographes ne se sont pas privés de cette démarche esthétique. La composition de l’image est alors devenue l’élément crucial, plus important même que le sujet photographié. Cette radicalisation amène à un minimalisme où il faut se concentrer essentiellement sur les formes, les lignes, les couleurs…
Bien évidemment, un peintre peut « tout » créer, le photographe, quant à lui, doit opérer avec ce qu’il a sous les yeux (soit avec la mise en scène, soit au fruit d’une longue quête et d’un œil aiguisé). Comme il vous faudra évacuer du champ tout signe identifiant (éléments contextualisants, rapports d’échelle…) pour ne garder que les formes désormais abstraites, il vous faudra réaliser un cadrage serré sur les formes choisies (avec une focale longue, par exemple) pour les isoler et les mettre en exergue.
La géométrisation des formes
Le peintre constructiviste russe Vassily Kandinsky affirmait que « le contact de l’angle aigu d’un triangle avec un cercle n’a pas d’effet moindre que celui du doigt de Dieu avec le doigt d’Adam chez Michel Ange ». Les formes géométriques simples (lignes droites, courbes, cercles…) devenaient alors son vocabulaire pictural. En se débarrassant de la figuration, on se débarrasse du sujet, du référent pour se concentrer essentiellement sur la composition, l’agencement de formes. Les espaces urbanisés et plus précisément les bâtiments sont propices à cette recherche car particulièrement riches en éléments formels (lignes, angles, symétries…). Petit conseil, pensez à lever la tête !
Gare Centrale d’Anvers
Gare Lyon Saint-Exupéry
Jouer avec la couleur et la lumière
Il est peut-être très pertinent de réfléchir à la couleur car elle produit un effet physique immédiat au niveau de l’oeil. En juxtaposant des couleurs complémentaires (chaudes/froides : violet/jaune, rouge/vert, orange/bleu), vous créez des contrastes chromatiques. Ceux-ci dynamisent l’image en lui donnant du caractère car l’opposition excite la rétine (les aplats sans nuance de couleurs sont très efficaces (comme pour les façades de maisons de Burano) ! Pour mettre en exergue la couleur (ou la texture), certaines images nécessiteront un angle de vue frontal, sans profondeur, par rapport au « support-plan ». Amusez-vous sur les marchés aux fleurs et aux légumes ou dans les forêts à l’automne !
Ciel d’automne au Parmelan
Canal à Venise
Une attention particulière peut être également portée quant à la lumière car elle produit des effets très riches (reflets, scintillements, nuances…) qui sont autant d’éléments visuels à exploiter : vous pourrez ainsi jouer les contrastes forts (ex : contre-jour) ou avec la subtilité du dégradé (dû à une lumière rasante) qui nuancera les couleurs ou même un camaïeu (variation de valeur d’une même couleur). Un travail en noir & blanc (camaïeu de gris), mettra en évidence cette esthétique de la lumière. Je vous conseille de prendre votre photo en couleur et de traiter seulement ensuite le noir et blanc en post-production sur un logiciel.
Grotte à Collomb au Mont Granier
Rythme et répétitions
Le rythme est défini comme une « répétition périodique (d’un phénomène de nature physique, auditive ou visuelle). » Vous pouvez donc réfléchir à la manière de cadencer votre image en jouant sur la répétition des motifs (lignes, formes, personnes, couleurs). Une forme similaire, voire identique, donnera une fréquence dans la lecture de l’image. Le travail de composition (placement des éléments) sera très important car l’œil du regardeur parcourra votre photographie comme une partition (dont vous avez donné le tempo). Cette répétition du motif peut recouvrir l’ensemble de votre image produisant un « all-over » (cf : peintures de Jackson Pollock). Je vous conseille également les photographies d’Andreas Gursky où les éléments individuels (personnes, fenêtres etc…) deviennent une abstraction dans l’ensemble…
Galeries Lafayette d’Annecy
Toute règle a son contre-pied : vous pouvez très bien créer un rythme que vous déjouez avec une anomalie venant parasiter l’ensemble (par exemple une courbe au milieu de lignes droites, un érable rougeoyant au milieu de conifères, du lichen informe parmi les galets ovales etc… bref, un élément qui casse le rythme établi, un « mouton noir visuel »).